Article d’opinion : L’hydrogène – plutôt qu’un coup d’accélérateur, un coup de frein à l’écologisation des transports routiers.

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Roeland Reesinck est un consultant en transition énergétique

L’hydrogène – plutôt qu’un coup d’accélérateur, un coup de frein à l’écologisation des transports routiers.

La semaine dernière, la Commission européenne a publié un plan ambitieux visant à accroître la production d’hydrogène à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe. La veille, le port de Rotterdam annonçait le projet d’exploiter un millier de camions à hydrogène. Pendant ce temps-là, aux États-Unis, l’action du producteur de camions à hydrogène Nikola faisait des vagues dans la presse financière. Son évaluation boursière s’est envolée à plus de 20 milliards de dollars sans que l’entreprise n’ait produit un seul camion.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’hydrogène vert – en d’autres termes l’hydrogène produit à partir d’eau par électrolyse au moyen d’une électricité verte.

Il n’existe par exemple aucun autre carburant vert à l’horizon capable de répondre aux besoins des transports aériens et maritimes énergivores. Il en va de même pour de nombreux produits et processus industriels. Par ailleurs, l’énergie peut être directement stockée sous forme d’hydrogène en prévision des périodes sans vent ni soleil.

Mais l’hydrogène peut également être mal utilisé. Par exemple, les chaudières à hydrogène consomment trois fois plus d’électricité que les pompes à chaleur électriques combinées à des chaudières et tampons thermiques. Qui plus est, les véhicules routiers à hydrogène n’accélèrent pas la transition énergétique, mais au contraire la ralentissent.

Je vous explique : pour avoir un véhicule routier à hydrogène, il faut comprimer de l’hydrogène, le stocker, le transporter et en remplir le réservoir du véhicule. Ce dernier retransforme l’hydrogène en eau au moyen d’une pile à combustible, ce qui libère de l’énergie vers un moteur électrique. Il en résulte une perte d’énergie massive de près de deux tiers. Après l’électrolyse, seuls 75 % de l’énergie éolienne ou solaire sont conservés. Après la compression et le transport, il en reste moins de 65 %. Enfin, la pile à combustible ne convertit réellement que 30 à 35 % de l’hydrogène en électricité. Chaque étape produit une chaleur résiduelle difficilement exploitable.

« Le secteur des batteries s’est développé bien plus rapidement que celui de l’hydrogène ces dernières années. »

Volkswagen a publié une étude comparative de voitures électriques ordinaires (véhicules électriques à batterie [VEB]). Ces voitures à batterie, qui se rechargent sur le réseau d’électricité, utilisent 80 % de l’électricité produite. Volkswagen permet une certaine perte d’énergie, car la recharge se fait parfois à partir d’une batterie externe en l’absence d’énergie solaire ou éolienne. Ainsi, Volkswagen a fixé le seuil d’utilisation d’énergie à environ 76 %. La différence est énorme : une éolienne peut alimenter un millier de VEB, mais moins de 400 voitures à hydrogène. Voilà pourquoi la grande majorité des constructeurs européens et américains abandonnent actuellement à juste titre le développement des voitures à hydrogène.

C’est exactement la même chose pour les fourgonnettes, bus et camions alimentés à l’hydrogène, même les trains et péniches. Dans chaque cas, deux tiers de l’énergie initiale disparaissent, tout simplement. Avec une batterie, moins d’un quart est perdu. Selon les économistes d’ING Bank, l’ensemble des véhicules routiers, y compris les véhicules à hydrogène, devraient devenir bien plus écoénergétiques et considérablement moins onéreux dans les prochaines années grâce aux VEB, maintenant que les batteries deviennent rapidement plus légères et moins coûteuses (et, surtout, sans devoir bientôt recourir au cobalt controversé).

Une efficacité à peine plus élevée
Le secteur des batteries se développe bien plus rapidement que celui de l’hydrogène. Au cours des dix dernières années, l’électrolyse et les piles à combustible ont à peine gagné en efficacité. En même temps, les batteries au lithium sont devenues 100 % plus puissantes (en kilowatts-heure stockés par kilogramme). Et cela pour un prix du kilowatt-heure stocké plus que divisé par deux. Cette évolution poursuit son accélération.

Une toute nouvelle génération de batteries au lithium (lithium-polymère et lithium sulfure) est en train d’émerger. Le segment des piles à flux pour un stockage externe à grande échelle de l’énergie connaît actuellement de grandes avancées. Il existe une vaste gamme de technologies qui permettent de stocker l’énergie moyennant une perte d’énergie bien plus faible, et ce pour un coût et un poids en baisse constante.

Il est par ailleurs préférable de produire de l’hydrogène comme carburant des centrales électriques afin d’alimenter le réseau lors des jours sans vent ni soleil. Cette approche est bien plus efficace que le remplissage inutile et permanent en hydrogène de l’ensemble des voitures (et camions).

Autre idée fausse, et de taille : il serait soi-disant possible de produire de l’hydrogène uniquement en période de surplus d’énergie solaire ou éolienne. Les installations d’électrolyse sont beaucoup trop onéreuses pour cela. Celles-ci doivent être opérationnelles des milliers d’heures par an pour être rentables.

Il s’agirait alors de construire des parcs éoliens et solaires spécialisés comme l’a récemment proposé Shell. Cependant, elles ne peuvent plus servir à augmenter la fourniture en électricité verte, ce dont on a besoin de toute urgence.

On soutient souvent que le réseau actuel ne permettra pas de répondre à la demande à venir. C’est vrai, mais de nouvelles lignes électriques ont été installées ces cent dernières années au fil des besoins. Les opérateurs des réseaux nationaux et régionaux continueront tout simplement à faire de même, seulement plus rapidement.

Une technologie obsolète
Il va falloir investir pour rendre l’électrolyse plus performante et plus économique. C’est indéniable. Mais nous devons cesser de faire la promotion de la technologie des piles à hydrogène franchement ruineuse et obsolète au détriment de l’écologisation de l’électricité. Il nous faut plutôt poursuivre la dynamique vers la création de véhicules électriques bien plus efficaces – notamment en encourageant la construction de bornes de recharge rapide pour les camions électriques le long des autoroutes et leur permettre ainsi de rouler avec des blocs-batteries relativement légers.

Les Pays-Bas sont à l’avant-garde des infrastructures de recharge et des bus électriques. Le pays est également bien placé pour devenir le leader du transport de marchandises électrique. Cela profitera au climat, à l’économie et au contribuable.


Roeland Reesinck

Source : Financieel Dagblad, 13 juillet 2020, Pays-Bas